Visuel Il était un toit en Amérique
09.05.23

Il était un toit en Amérique

L’avenir de la ville verte made in USA? Il pourrait être en Floride, à Babcock Ranch, une ville sortie de terre en 2017, qui a déjà attiré 5 000 résidents avec son électricité 100% solaire, ses routes pour vélos et piétons, son réseau d’eaux recyclées…
À l’automne, le passage de l’ouragan Ian a prouvé que la cité savait tenir une autre promesse de taille: résister aux catastrophes naturelles. Un modèle prometteur, mais loin de rimer avec sobriété.

La deux-voies au bitume fatigué coupe en ligne droite les prairies et les marécages. Les kilomètres s’enchaînent, et le paysage se répète: des cyprès, des pins, des palmiers et quelques fermes éparpillées. Au milieu de cette étendue de vert, quelques taches bleues: des bâches recouvrent les toitures des maisons. Plusieurs mois après le passage dévastateur de l’ouragan Ian qui a balayé l’ouest de la Floride, elles sont toujours en cours de réparation. À un croisement, une route à l’asphalte flambant neuf bifurque sur la gauche. La démarcation est nette et contraste avec le reste de cette région en reconstruction. Ici, tout semble immaculé. Un panneau, neuf lui aussi, indique l’entrée de la localité de Babcock Ranch. Il est légèrement plié. “C’est le seul dégât qu’on a eu pendant l’ouragan”, se félicite Lisa Hall. Au volant de sa rutilante voiturette de golf, cette sexagénaire au sourire Colgate fait le tour du propriétaire.

La première ville américaine 100% à l’énergie solaire

Il y a six ans, il n’y avait rien ici. La ville a surgi de nulle part, nichée en plein cœur d’une zone naturelle et humide de Floride. Il n’est d’ailleurs pas rare de croiser des alligators, coyotes ou autres bêtes sauvages dans les rues et les jardins. Ici, on vit en communion avec la nature. Le projet est né dans la tête de Syd Kitson. Cet ancien joueur professionnel de football américain et promoteur immobilier se présente comme un “environnementaliste avant tout”. En 2005 déjà, il fait ce constat: le soleil de Floride attire de plus en plus d’habitants. Et selon lui, les investisseurs “ont la responsabilité d’innover et de trouver de nouveaux moyens d’accueillir cette population grandissante, sans détruire la nature”. Il repère alors des terres, héritage d’un immense ranch familial mis en vente, 370 kilomètres carrés au total, soit six fois la taille de Manhattan. Les propriétaires veulent le vendre à quelqu’un “qui n’en ferait pas n’importe quoi, et préserverait l’environnement”, se souvient l’investisseur. Le deal est conclu. Kitson respecte sa part du contrat: il cède une grande partie des terres à l’État de Floride pour en faire une réserve naturelle. Dix ans plus tard, sur le reste de sa propriété, il entame son projet. Le promoteur s’entoure de consultants environnementaux et d’ingénieurs en développement durable. Pour lui, construire une ville de zéro serait plus simple et plus efficace que de “réparer” des zones urbaines qui n’ont pas été pensées sur le long terme. Pour qu’une commune soit la plus durable possible, il faut penser sa conception dans sa globalité, des routes aux égouts en passant par les espaces publics. Le sol avait déjà été drainé par le propriétaire du ranch dans le passé, le terrain était donc constructible. Les équipes créent alors des lacs artificiels et des canaux pour gérer le niveau de l’eau et former un réseau fonctionnant en circuit fermé, avec recyclage des eaux usées. Le réseau d’électricité est indépendant, alimenté par quelque 650 000 panneaux solaires installés dans un champ à quelques kilomètres de la ville. Babcock Ranch est d’ailleurs la première ville américaine alimentée uniquement par l’énergie solaire

“Vivez une vie meilleure!”

Les premières maisons ont été mises en vente sur plan en 2017. Richard Kinley fait alors le déplacement depuis Atlanta en Géorgie, avec son épouse. “J’ai suivi le projet de Babcock Ranch dès qu’il a été annoncé dans la presse. Cette initiative environnementale correspondait à mes valeurs”, assure-t-il. Cet ancien infirmier psychiatrique, aujourd’hui à la retraite, a toujours eu “l’écologie comme priorité” et se considère comme un pionnier en matière d’environnement. Ils sont les premiers à signer. Quand ils emménagent en 2018, ils sont quatre résidents au total. Aujourd’hui, 5 000 personnes se sont laissées convaincre. Syd Kitson n’a pour l’instant pas prévu d’exporter son modèle, mais il affirme recevoir régulièrement des coups de fil de maires ou promoteurs qui lui demandent des conseils. Les raisons de ce succès, selon lui? “On a prouvé que faire ce qui était bon pour l’environnement est aussi bon pour le business.”


La suite du reportage à découvrir dans le 12ème numéro de So good, disponible en kiosque ou à la commande.

Par Anaïs Renevier
Photos: Melanie Metz pour So good