Visuel « Le moyen le plus efficace de relancer le vélo est de modérer la circulation automobile »
09.05.23

« Le moyen le plus efficace de relancer le vélo est de modérer la circulation automobile »

À l’occasion du lancement du plan vélo par le gouvernement le 5 mai dernier, retour sur l’entretien avec Frédéric Héran, économiste et urbaniste, maître de conférences à l’université de Lille 1. Ribambelle de chiffres à l’appui, l’universitaire démontre que le phénomène, contrairement à l’argent, ruisselle, des grandes villes aux campagnes, des aristos aux classes popu. Il raconte comment le vélo, quasiment disparu des routes de France, fait son grand come-back et nous fait entrevoir son futur radieux.

On parle aujourd’hui du vélo, en forte progression en France et ailleurs, comme d’une solution d’avenir, mais n’est-ce pas une solution du passé?

Dans l’entre-deux-guerres, l’engouement pour le vélo était très fort. Il était passé d’une pratique élitiste à populaire, essentiellement pour une question de prix: à la fin du xixe siècle, il coûtait l’équivalent de 7000 euros d’aujourd’hui. Quarante ans plus tard, il ne valait plus que 700 euros. Le vélo a vraiment démocratisé la mobilité. Ce fut une révolution en permettant de se déplacer plus facilement, et bien plus efficacement qu’à pied. Pensez: avec la même énergie dépensée, un cycliste va trois à quatre fois plus loin qu’un piéton, et couvre donc un espace quinze fois plus grand. Dès son apparition, vers 1865, le vélo a aussitôt été comparé au cheval. Il était d’emblée beaucoup moins cher, alors que le cheval était réservé à quelques aristocrates fortunés. Le pays qui s’en est emparé le plus rapidement et le plus massivement, ce sont les États-Unis. Pendant dix ans, de 1891 à 1900, ils ont connu ce qu’on a appelé plus tard un “bicycle boom” en devenant le pays le plus cycliste au monde. En Europe, jusqu’à la Seconde Guerre mondiale, seuls les hauts revenus pouvaient se permettre d’acheter une voiture. Tout a changé, bien sûr, après guerre: l’Europe a suivi le modèle américain, où la voiture était déjà devenue d’usage courant, notamment grâce à Ford. Les constructeurs automobiles ont compris qu’il y avait un marché à conquérir, celui des classes moyennes, puis des classes populaires, et ont sorti coup sur coup des petites voitures comme la 2CV, la 4CV, la Fiat 500…

C’est donc la voiture qui a assassiné le vélo?

En France, cela n’a pas été directement le cas. Dans les années 1950-1960, les cyclistes ont d’abord été conquis par les constructeurs de deux-roues motorisés, et notamment de cyclomoteurs: le Solex, la mobylette et le Peugeot BB, qui représentaient 80% des ventes. Ils ont inondé le marché, et la France est même devenue le premier constructeur mondial de deux-roues motorisés entre 1954 et 1960. Avec comme objectif très clair de motoriser les cyclistes. Par exemple, le slogan du Solex, c’était: “La bicyclette qui roule toute seule.” Et celui de la mobylette: “Un vélo avec un bon petit vent arrière permanent.” Et puis toute la vague yé-yé s’en est emparée. Johnny roulait évidemment en mobylette à l’époque. Pour draguer, il fallait être en deux-roues motorisé. Tout cela au prix d’accidents terribles: en 1960, le nombre de tués sur ces engins (2500 morts) a même été plus élevé qu’en voiture. Tous ces drames ont surtout concerné des jeunes qui roulaient trop vite sur des deux-roues débridés et sans casque, un vrai scandale de santé publique dans l’indifférence des pouvoirs publics. On a sacrifié des dizaines de milliers de vies pour ne pas entraver un secteur industriel qui exportait dans le monde entier. C’est surtout vers les années 1960 que la voiture a pris le relais. En France, le parcours de mobilité est passé du vélo au deux-roues motorisé, puis à la voiture. En Allemagne, en revanche, on est passé directement à la voiture.

Alors, à quel moment a-t-on commencé à se dire qu’un retour du vélo serait appréciable?

C’est dans le contexte de la crise de l’énergie de 1974 que le vélo est soudain apparu comme une solution à préserver, en France, comme dans les autres pays occidentaux. Il paraissait stupide de ne plus encourager sa pratique, alors qu’elle est si bonne pour l’environnement. Tout a commencé aux Pays-Bas sous un gouvernement de gauche très réceptif à la demande sociale. En 1974, le pays s’est trouvé sous embargo de l’OPEP parce qu’il était considéré comme un peu trop proche d’Israël. Les Néerlandais ont réalisé qu’il ne leur restait que trois mois de réserves de carburant pour leurs voitures. Ils ont alors décidé d’introduire des dimanches sans voiture. Depuis quelque temps, les accidents d’enfants renversés par des voitures s’étaient aussi multipliés. Une politique de modération de la circulation a alors été mise en place. Et c’est ainsi que la pratique du vélo a commencé à se redresser. Cette politique a ensuite gagné l’Allemagne et enfin la France, avec à chaque fois une décennie de décalage.

3% seulement des déplacements se font à vélo en France, 12% en Allemagne et 22% aux Pays-Bas

En France, comment ce retour en grâce du vélo s’est-il opéré? Est-ce grâce à la gauche?

Il faut d’abord souligner que ce retour en grâce est une très bonne nouvelle, pour l’environnement, le budget des ménages, mais aussi la santé, et c’est peut-être là le principal argument. Mais ce phénomène s’opère avec des décalages. En France, c’est à Paris que la pratique du vélo a commencé à reprendre. Le trafic était tombé très bas: en 1976, 0,2% seulement de l’ensemble des déplacements se faisaient à bicyclette. Aujourd’hui, cette part modale est de 5%, soit 25 fois plus. On doit à Jean Tiberi (maire de Paris de 1995 à 2001, NDLR) le premier plan vélo lancé en janvier 1996. Auparavant, il y avait déjà eu deux événements qui avaient marqué les esprits: en 1994, l’ouverture exclusive des voies sur berge au vélo les dimanches, puis la grève de décembre 1995 pendant laquelle de nombreux cyclistes avaient envahi les rues. L’idée de l’équipe municipale a été de faire des aménagements cyclables sur les artères, en prenant de la place à la voiture. Cent quatre-vingts kilomètres ont ainsi été réalisés sous cette mandature. Au début, les associations, échaudées par des années d’immobilisme, n’en espéraient pas tant. Ce n’est donc pas la gauche, avec l’arrivée de Bertrand Delanoë (maire de 2001 à 2014, NDLR) qui a entamé une politique pro-vélo. Mais avec la gauche, cette politique a été considérablement accélérée. À noter que les aménagements cyclables ne permettent de relancer la pratique que dans la mesure où ils prennent de la place à la voiture et contribuent fortement à modérer le trafic automobile, à calmer la ville.

Comment ce retour du vélo fait-il tache d’huile par la suite?

Via toute une série de décalages temporels. Cela commence aux Pays-Bas, puis se poursuit en Allemagne et arrive enfin en France. Cela démarre dans les grandes villes, puis dans les villes moyennes et enfin dans les petites villes. Les centres-villes sont d’abord concernés, puis la proche périphérie, et enfin la grande périphérie. Il y a aussi un décalage selon les publics: d’abord un public éclairé, cultivé, curieux de nouvelles façons de consommer (que certains ont caricaturé en les appelant les bobos, ce qui ne veut pas dire grand-chose), puis les classes moyennes et enfin les classes populaires qui commencent à s’y mettre depuis peu. Tous ces décalages rendent très compliqué la compréhension de l’usage du vélo.

Le vélo a-t-il aujourd’hui dépassé le stade du bobo?

Oui, même les classes populaires s’y mettent à leur façon. Le phénomène de vélo acrobatique par exemple, c’est une façon pour elles de s’approprier le vélo que personne n’avait vu venir. C’est toujours comme ça: elles ont toujours des façons bien à elles de s’approprier toutes les formes de consommation. Mais il y en a d’autres, qui sont moins glorieuses, comme les livreurs à vélo. Elles s’approprient aussi le vélo en retapant des modèles d’occasion dans des ateliers d’autoréparation. Il y a même du tuning sur des vélos. Aujourd’hui, l’utilisation de la bicyclette reste plus importante chez les CSP+ (catégories socioprofessionnelles les plus favorisées, NDLR), mais l’écart s’est beaucoup atténué.

Est-ce qu’il n’y a pas également un imaginaire autour de la voiture à déconstruire?

L’ accès à la voiture a été relativement récent chez les classes populaires. Et donc renoncer à la voiture, alors qu’elles ont eu tant de mal à en acquérir une, ce n’est guère envisageable. Mais cela devrait peu à peu changer, ce n’est pas irrémédiable. Les classes populaires finiront par se mettre au vélo comme les autres, à leur façon, dont on n’imagine pas bien les contours actuellement.

Comment situer la France par rapport aux autres pays?

Aujourd’hui, en France, 3% seulement des déplacements se font à vélo, contre 12% en Allemagne ou 22% aux Pays-Bas. Mais il n’y a aucune raison irrémédiable pour que ce grand écart persiste. La pratique du vélo n’est pas génétique! Les Français ont oublié que dans les années 1930, ils se déplaçaient à vélo autant que les Allemands. Aujourd’hui, les États-Unis, dont moins de 1% des déplacements se font à vélo, lorgnent vers l’Europe, en cherchant à relancer cet usage. Et le vélo est d’ailleurs en pleine croissance outre-Atlantique, dans toutes les grandes villes. À Washington, par exemple, il augmente de 14% par an depuis 2005! En Europe, dans un certain nombre de villes, les déplacements à vélo sont déjà plus nombreux qu’en voiture, à Copenhague par exemple, à Münster ou à Amsterdam. Et à Paris, cela va être le cas aussi bien entendu. Dans la capitale, le trafic auto a baissé de 60% entre 1990 et 2020. Dans le même temps, le stationnement de surface est passé de 350 000 places à 130 000, soit une chute de 63%. Anne Hidalgo veut encore en supprimer la moitié, pour passer à 60 000 places en 2026. Ce qui signifie qu’à la fin de la mandature suivante, en 2032, il n’y aura plus de voitures stationnées dans la rue à Paris, hors livraisons et personnes à mobilité réduite, le nombre de places en souterrain étant largement suffisant.

Le confinement a-t-il eu une incidence importante?

Le confinement a certes accéléré un mouvement. Mais ce sont surtout des cyclistes dits occasionnels qui se sont mis à faire du vélo tous les jours. Un phénomène qu’on observe en cas de crise, quelle qu’elle soit, grève des transports publics, crise sanitaire, attentat dans le métro… En 2016, les attentats à Bruxelles ont fait bondir la pratique de 30%. Cela signifie qu’il n’y a pas forcément beaucoup de néo-cyclistes, contrairement à ce qu’on croit.

1 million de personnes fréquemment la Loire à vélo chaque année. 660 000 vélos électriques ont été vendu en France en 2021, quatre fois plus que de voitures électriques

Le vélo électrique est-il un vrai phénomène ou, à nouveau, un joujou de bobo?

C’est un vrai phénomène! Rappelons qu’en 2021, on a vendu quatre fois plus de vélos à assistance électrique que de voitures électriques (660 000 contre 160 000), et cela augmente de 20 à 30% par an. Les acquisitions de voitures électriques décollent, mais restent encore faibles. Ce qui est intéressant avec le VAE, c’est qu’il permet d’aller presque deux fois plus loin avec la même énergie dépensée, mais pas tellement plus vite, de l’ordre de 2 km/h supplémentaires. Donc, il permet aux cyclistes de conquérir plus facilement la proche et même la grande périphérie. En Île-de-France par exemple, beaucoup de gens viennent de loin en VAE. À nouveau, il se produit un décalage. Dans un premier temps, on utilise des vélos classiques, puis on se met à utiliser des vélos plus équipés, avec un porte-bagages, un éclairage enfin correct, une assistance électrique, et dans un troisième temps, on finit par découvrir ce qu’on appelle les vélos spéciaux: les vélos cargos, les vélos pliants, les vélos allongés qui font un malheur en ce moment.

Selon vous, quelles sont les politiques publiques qui fonctionnent le mieux pour la relance du vélo?

Le moyen le plus efficace de relancer la bicyclette est la modération de la circulation automobile: cela ne signifie pas que les aménagements cyclables ne servent à rien, mais ils sont beaucoup plus utiles quand ils prennent de la place à la voiture et qu’ils diminuent ainsi la pression du trafic motorisé. Un exemple? En septembre 2016, la maire de Lille, Martine Aubry, a supprimé le transit automobile dans le centre de la ville: concrètement, on ne peut plus le traverser, il y a uniquement des boucles de desserte. Eh bien, sans aucun aménagement cyclable supplémentaire, la pratique du vélo à bondi de 40% en un an. En supprimant les itinéraires malins dans les quartiers, on constate que des petites places des villes renaissent: au lieu des voitures, on y croise des enfants qui se font un petit foot, des nounous, des migrants, des gens qui mangent des sandwichs… Vous avez une vie locale qui du jour au lendemain s’installe. La voiture, il faut continuer à rendre un peu plus compliqué son usage. Je rêve qu’on plafonne la vitesse à 30 en ville, sauf sur les grandes artères. L’Espagne l’a fait, les Pays-Bas aussi. Et ces villes deviennent le royaume des cyclistes, les gamins vont à l’école à vélo, on fait ses courses à vélo… Si vous avez une réflexion globale, intégrée, cohérente dans votre politique de déplacements, le vélo en profite grandement. Et qu’est-ce qu’une politique cohérente? C’est d’abord et avant tout donner la priorité aux piétons d’abord, puis aux cyclistes, ensuite aux transports publics et enfin à la voiture. Autre mesure cohérente: ne pas rendre le transport public gratuit, pour qu’il ne soit pas jugé plus important que le vélo. Car il est beaucoup plus cher pour la collectivité. Mieux vaut d’abord favoriser l’usage du vélo que des transports publics, surtout en zone dense où le vélo a toute sa légitimité. Les métros, bus, RER, tramways sont surtout utiles pour ceux qui habitent en banlieue ou en périphérie et pour qui il est compliqué de venir en vélo. Évidemment, j’ai quelque mal à être entendu avec des propos pareils.

Est-ce que les primes à l’achat ont une utilité?

En 2010, l’État a voulu booster l’usage du vélo à assistance électrique. Il a accordé une prime qui n’a duré qu’un an et qui a effectivement eu un effet très fort sur les ventes de VAE. D’ailleurs, le gouvernement ne s’attendait pas à ce que l’engouement des Français soit si élevé, c’est sans doute pour cela qu’il a supprimé la prime assez vite. Mais je ne pense pas que ce soit indispensable. Beaucoup de personnes auraient probablement achetés un VAE de toute façon, c’est un effet d’aubaine pour les hauts revenus.

Les Vélib’, Vélo’v et autres vélos en libre-service stimulent-il la pratique?

On croit que le vélo en libre-service, dont on a fait grand cas, a relancé la pratique du vélo, c’est totalement faux. Dans aucune ville du monde, on ne constate un impact déterminant des systèmes de vélos en libre-service sur la hausse de la pratique. Parfois, on connaît une hausse à court terme, parfois pas, et puis la courbe retombe. Les gens ont compris assez vite que ce n’est pas un système très fiable. Cela coûte une fortune aux villes, et je pense que cet argent pourrait être mieux utilisé ailleurs. À Paris, c’est peut-être plus rentable d’ailleurs, parce que ça a fait venir des touristes qui veulent vivre le mode de vie parisien “en Vélib’”. Or ils paient à la journée, et c’est beaucoup plus cher. Quoi qu’il en soit, c’est très vendeur, cela participe de ce qu’on appelle le “marketing urbain”.

Comment favoriser l’usage du vélo dans les zones rurales?

On sera obligés, pour des raisons climatiques, de baisser la vitesse. Le passage de 130 à 110 sur les autoroutes réduit tout de même les émissions de 16%. C’est une mesure qu’on peut prendre du jour au lendemain et qui est super efficace. Alors oui, c’est vrai, on perd un peu de temps. Vraisemblablement, on roulera de moins en moins vite, ce qui permettra de rendre plus attractif tout ce qui est lent, en particulier le vélo.

La France est la première destination touristique mondiale, qu’en est-il du tourisme à vélo?

À la fin des années 1990, l’État a contribué à définir un réseau de véloroutes voies vertes pour le tourisme au niveau national, conforme à un schéma européen, et ce, pour le loisir. Aujourd’hui, on en voit les résultats: nous avons 20 000 kilomètres de pistes aménagées et nous sommes la 2e destination mondiale du voyage à bicyclette. Un million de personnes fréquentent la Loire à vélo chaque année! Des gens viennent du monde entier pour faire du vélo en France, sur la Vélodyssée, le long de l’Atlantique, la ViaRhôna le long du Rhône, etc. Un jour, on aura un tourisme de masse à vélo, qui est l’un des rares tourismes vraiment écoresponsables.

Si on se place à l’horizon 2050, comment est le futur du vélo?

Ce que j’avais imaginé en 2014 dans mon livre s’est réalisé, mais bien au-delà de ce que j’escomptais. Cela va encore s’accélérer bien plus qu’on ne le croit. D’abord parce qu’on mesure de plus en plus que nos ressources naturelles sont épuisables. La voiture risque de coûter de plus en plus cher, y compris la voiture électrique, à cause des tensions sur les matières premières. Il faudra bien passer à autre chose, à des modes de déplacement beaucoup plus légers. Je travaille en ce moment sur ce qu’on appelle les véhicules intermédiaires, tout ce qui est entre le vélo classique et la voiture classique: les vélos-voitures (des vélos avec une carrosserie, où l’on se tient semi-couché ou assis), les vélomobiles, les voiturettes comme l’Ami de Citroën, les mini-voitures comme la Twizy, les deux-roues motorisés avec cabine… toutes ces solutions alternatives à la voiture. Je suis persuadé que d’ici 30 ans, on verra infiniment plus qu’aujourd’hui de ces véhicules hybrides. Selon moi, les vélos-voitures pourraient faire un malheur dans les territoires. Le VAE trouvera aussi sa place dans ce schéma. Toutes ces solutions-là sont tout à fait possibles en territoire peu dense et autour de villes. Explorer ces pistes est très stimulant et encourageant. On pourrait vivre tout autrement et de façon beaucoup plus respectueuse de la planète, de façon beaucoup plus sobre, et il ne s’agit pas d’une régression. Quand vous êtes à vélo, par exemple, vous découvrez des bords de route, les fleurs, les espèces animales qui étaient invisibles en voiture. Et on pourra profiter de l’exercice physique réalisé.

En quoi cela va-t-il alors modifier l’urbanisme et les paysages?

Il faut savoir que l’urbanisme et la mobilité sont étroitement liés. Avant 1850, les villes étaient très denses et quasi exclusivement piétonnes. Cette hyperdensité allait avec la marche. Puis on a vu émerger la ville des transports publics, avec un urbanisme qui s’est créé à proximité des gares et le long des lignes de tramway. Et puis, à partir de la Seconde Guerre mondiale, c’est la ville automobile qui a émergé, beaucoup plus étalée, dix fois moins dense que les villes piétonnes. Si on en revient à des modes de transport plus lents comme le vélo, on devrait voir lentement se contracter les villes, l’urbanisme devrait suivre. Évidemment, il y a des inerties énormes liées au fait que le bâti est déjà là. Mais en premier, les services s’adapteront. On le voit déjà avec les commerces. La grande distribution est capable de changer très rapidement. Les centres commerciaux en périphérie commencent à se redéployer là où les gens ont besoin de services, dans les petites villes. Ce qui sera un peu plus compliqué, c’est les services publics. Mais on peut imaginer qu’on fera, non plus d’immenses collèges de 400 personnes pour les rentabiliser, mais des structures de 200 places, pour être plus proches des habitants. Et puis les gamins iront au collège à vélo, plutôt qu’en transports scolaires. Ils arriveront réveillés, et pour leur santé, ce sera bien meilleur. On pourrait retrouver un urbanisme plus dense qu’aujourd’hui, avec des pôles secondaires capables d’offrir l’essentiel des services du quotidien à des gens qui n’auront plus forcément à faire des kilomètres en voiture. Et qui pourront donc se déplacer plus souvent à vélo.

Vous qui prônez le vélo par tous les moyens, quel modèle utilisez-vous?

En tant que chercheur, j’ai demandé et obtenu auprès du CNRS qu’un de mes contrats de recherche finance un vélo pliant Brompton. Quand je suis invité dans une ville, pour un séminaire, une conférence, je peux déjà aller à la gare facilement avec, je mets mon vélo pliant dans le train n’importe où, étant donné qu’il occupe la place d’une valise, et à l’arrivée, je peux parcourir la ville qui m’accueille et découvrir son urbanisme bien mieux que si j’étais dans une voiture. J’ai justifié cela en disant que cela augmente ma productivité de chercheur!

Entretien avec Fréderic Héran pour le 9ème numéro de SO GOOD