Visuel L’école autogestionnaire, c’est quoi au juste ? Durant les AG, profs et élèves échangent sur le quotidien au lycée © Fabien Breuil pour So good
02.09.22

L’école autogestionnaire, c’est quoi au juste ?

Dans le 16e arrondissement de Paris se trouve une expérimentation datant des années 1980. Ce n’est ni la tour Montparnasse ni la statue de la Liberté miniature, mais le LAP: le lycée autogéré de Paris. Un établissement où les élèves sont en charge aussi bien de la cuisine que de leur présence en cours. Et qui pose la question: si on voyait l’éducation autrement?

Au cours de géopolitique du lycée autogéré de Paris (LAP), Samuel est le seul présent. Depuis son bureau, le professeur de 51 ans accuse le coup: “Il faut reconnaître que pour une partie des élèves absents, c’est un peu ma faute. Je les ai encouragés à s’investir et à consacrer du temps à un de leur projet de l’année,
la marche utopique. C’est une randonnée dont le but est de rencontrer des gens qui font autrement.”
Cette situation ubuesque alarmerait n’importe quel enseignant d’un lycée classique, mais pas M. Brunner. Au LAP, les élèves ne sont pas fliqués par leurs enseignants. De toute façon, en cas d’absence, il n’y a pas de vie scolaire pour courir après les adeptes de l’école buissonnière. “C’est un choix de notre part, ajoute Samuel. On ne donne pas non plus de note, sauf si l’élève en veut une. Pour certains, la notation, c’est une humiliation. Il faut leur donner les éléments pour s’améliorer et passer du temps à les leur expliquer.”

À quelques classes de là, la leçon de géographie attire quelques curieux. Tout paraît normal… exceptés les retardataires acceptés sans justification, les allers/ retours des étudiants sortant de la salle se chercher un thé à la cafétéria, le tutoiement généralisé et les échanges réguliers de la prof avec son audience. “C’est particulier, mais d’une certaine façon, on gagne du temps, puisque même s’il y a des retardataires, les cours commencent à l’heure. Et comme les salles ne sont jamais pleines, on travaille plus efficacement”, assure Valentine, une élève de terminale. Le quotidien de ce lycée public parisien situé entre Porte de Versailles et Convention ne ressemble en rien à celui des autres: il s’agit d’une expérimentation lancée dans les années 1980, en même temps que trois autres établissements. “La vanne n’a jamais été rouverte depuis, ça s’est arrêté à ces quatre-là, explique Éric, un autre professeur, avec un brin de déception dans la voix. Pourquoi il n’en existe pas d’autres? Un jour, un inspecteur a répondu en disant que le bilan n’était pas assez bon pour le reproduire et pas assez mauvais pour le fermer!”

On ne donne pas non plus de note, sauf si l’élève en veut une. Pour certains, la notation, c’est une humiliation. Samuel, professeur au LAP

Ici, les enseignants sont convaincus que les méthodes alternatives et l’autogestion apportent beaucoup. “Quand ils sortent du lycée, ils ont plus de facilités orales et différentes compétences”, complète Samuel. Au premier étage, Kaï, un terminal, développe lui-même les photos de son argentique dans un labo dédié aux tirages photo. Il profite du LAP pour développer sa vocation et espère après le lycée intégrer un BTS dans la photographie. Au rez-de-chaussée, une salle de musique permet à son ami Jawed de jouer un air de Django Reinhardt. Le lycée regorge d’instruments: guitares électriques, acoustiques, batterie, basses… D’autres font de la radio. Toutes ces activités sont autant de possibilités de développer sa singularité et ses passions, et peut-être, un jour, d’en faire son métier. Plus qu’une réussite au bac, les lycéens viennent trouver de l’épanouissement, de la liberté et de la responsabilisation. “J’étais en pleine phobie scolaire, alors je cherchais une alternative”, confie Noé, un terminal qui vient tout juste d’intégrer le LAP. Olmo, son camarade, a lui aussi eu des difficultés d’adaptation au système classique: “Avant de rejoindre le LAP en seconde, j’étais dans le système classique et j’avais du mal à m’y conformer. Maintenant, je gère beaucoup mieux mon travail. Venir en cours, ce n’est pas une obligation, donc il faut faire la démarche de se lever le matin.” Heureusement pour Olmo, ses camarades et les professeurs du LAP, la cafétéria dispose de l’arme absolue contre les réveils difficiles: un thermos rempli de café, que les étudiants doivent bien sûr gérer eux-mêmes, comme le reste.

Un lycée géré du ménage à l’assiette

“Le lycée est autogéré, il faudrait peut- être le rappeler à certains!” En “réunion générale de gestion”, une élève râle, jugeant ses camarades peu investis. Comme tous les jeudis matin, les commissions chargées de gérer la vie courante du LAP se réunissent à 11h. Celle de la “RGG” permet de faire remonter les problèmes, les idées des étudiants et les sujets sur lesquels ils aimeraient voter. Pour communiquer, les “lapiens” ont leurs propres habitudes. Secouer leurs mains en l’air exprime un acquiescement, croiser les bras signifie un désaccord. Ce langage corporel s’exporte jusqu’à l’assemblée générale, un peu après 13h. Profs et lycéens y évoquent la vie courante de l’établissement. “Les mardis après-midi sont dédiés aux “GB”. En gros, pendant deux heures, on se retrouve à vingt avec un professeur et on fait remonter nos demandes et, surtout, on vote”, détaille Valentine. Lors de ces réunions générales de gestion, on évoque l’installation prochaine d’une “machine pour se faire du jus d’orange” ou la politique à adopter concernant le port du masque. C’est simple: tout passe par les élèves. “Pour la nouvelle cour, c’est aussi nous qui avons choisi entre différents plans qui nous étaient proposés”, acquiesce Valentine, avec un brin de fierté. Même le ménage et les repas du mardi et ceux du jeudi sont concoctés par les élèves. “Le mardi, c’est les secondes. Le jeudi, c’est la commission cafet’. On fait tous partis d’une commission, la mienne est chargée de répondre aux sollicitations extérieures.” Les journalistes, par exemple.

Les résultats de cette méthode alternative ont bien sûr du mal à être mesurés de façon concrète. Le taux de réussite au bac par exemple oscille entre 35 et 40%. Pas de quoi alarmer Samuel, un temps enseignant dans des lycées “classiques”: “Ce n’est pas vraiment l’enjeu au LAP. Une partie de nos élèves ne sont pas adaptés au système scolaire français, parfois ils ont aussi des problèmes sociaux.” Les professeurs n’ont même pas les bulletins des candidats sous les yeux durant la sélection. Pour entrer dans l’établissement de la rue de Vaugirard, deux éléments importent: la personnalité et la motivation des candidats à intégrer un collectif. “On est très à l’aise avec notre taux de réussite. On prend des jeunes complètement décrochés du système scolaire classique. Les deux tiers ne sont même pas acceptés en filière générale, alors qu’ils le sont chez nous”, rajoute Éric. Si une partie des élèves du LAP n’obtiennent pas leur bac, c’est aussi parce qu’ils ne s’y présentent pas toujours. Être présent le jour du bac ou ne pas l’être, c’est aussi ça la liberté.

Article issu du n°3 du magazine So good, sorti en kiosque le 17 décembre 2020.

Propos recueillis par Vincent Bresson. Photo : Fabien Breuil pour So good.